Mon égo, ma fenêtre sur la réalité : Voyage dans nos histoires intérieures

J’ai toujours trouvé fascinant de voir mon reflet dans une vitre, surtout lorsqu’il y a un léger contraste entre l’intérieur et l’extérieur. D’un côté, on aperçoit la rue, les passants, la lumière du jour ou les lampadaires nocturnes. De l’autre, on perçoit vaguement son propre visage, ce qui rappelle qu’on ne peut jamais vraiment regarder la réalité sans être soi-même dans le coup. Pour moi, cette vitre, c’est un symbole parfait de l’égo : un filtre qui nous sépare du monde tout en nous permettant de le contempler. Mais, à l’image d’une fenêtre, l’égo peut se remplir de divers “dessins” – ces histoires que l’on se raconte et qui, parfois, nous cachent l’essentiel.

L’égo comme fenêtre protectrice (et pourquoi on ne peut pas s’en débarrasser)

Au Québec, et dans bien d’autres régions au climat rugueux, on ne plaisante pas avec les fenêtres. L’hiver, avec ses bourrasques de neige et ses températures négatives, nous rappelle à quel point une vitre peut être une barrière vitale contre les intempéries. Imaginez une maison sans fenêtre : courants d’air cinglants, intrusions intempestives, et au final, zéro confort. L’égo remplit, à sa manière, le même rôle de protection psychique. Il nous aide à marquer les limites entre ce qui nous appartient et ce qui ne nous appartient pas, entre ce qui nous met en sécurité et ce qui nous menace.

Certains affirment qu’il faudrait carrément “détruire” l’égo pour avancer spirituellement. Dans l’absolu, supprimer toute forme d’égo reviendrait à vivre en permanence à l’extérieur, exposé au froid, aux tempêtes, et aux petites bêtes pas toujours amicales. On risquerait d’être submergé par toutes les perceptions, tous les jugements et toutes les émotions du monde, sans la moindre barrière pour nous protéger. C’est pourquoi l’égo, comme la fenêtre, a son utilité : il nous assure un certain équilibre. Nous ne serions pas capables de gérer le flux incessant des sollicitations si nous n’avions pas cette frontière psychique.

Les “dessins” sur la vitre : croyances, illusions et tout le tralala

Après avoir accordé un minimum de crédit à notre précieux égo, restons lucides sur un fait : la vitre peut se couvrir de petits gribouillis. On a tous, à un moment ou un autre, dessiné des formes avec nos doigts sur la buée d’une fenêtre. Parfois, ce sont des cœurs, parfois des bonshommes plus ou moins réussis, parfois des mots écrits en cachette. Eh bien, dans notre tête, il se produit un phénomène équivalent : nous projetons nos croyances, nos peurs, nos attentes sur la vitre égotique.

Ces dessins, c’est tout ce qui compose la trame de nos histoires intérieures. On y trouve nos perceptions du succès, nos inquiétudes, nos complexes, nos jugements vis-à-vis de nous-mêmes et des autres. Souvent, ces histoires se superposent jusqu’à former un épais rideau. On ne voit plus le monde extérieur tel qu’il est, mais plutôt tel qu’on le “colorie”. On se convainc qu’il fait gris parce que, sur notre vitre, on a peint un grand nuage noir, alors même que le soleil brille. Ou à l’inverse, on ignore une tempête qui gronde dehors parce qu’on a recouvert la fenêtre d’un paysage idyllique.

Trois façons de gérer ces dessins

Au fil de nos expériences, nous cumulons ces fameux dessins. Et plus on en ajoute, plus la vitre devient illisible. On en arrive alors à trois options :

  1. Effacer le dessin : Cette démarche est un peu radicale, mais elle a le mérite d’être claire. On réalise que les motifs qu’on a tracés sur la vitre ne sont pas la réalité. On prend un chiffon, on frotte énergiquement, et on s’applique à faire disparaître la peinture. Cette étape exige de remettre en question des croyances profondément ancrées, parfois depuis des années. Ça peut être douloureux, parce qu’on s’attaque à ce qu’on pensait être “nous-mêmes”. Mais c’est aussi une libération : on se rend compte que toutes ces couches s’étaient incrustées au point de brouiller la vue.
  2. Contourner le dessin : Quand on n’est pas encore prêt à frotter de toutes nos forces, on essaie de regarder autour des gribouillis. On penche la tête, on se dresse sur la pointe des pieds, on se contorsionne pour trouver une zone de la vitre à peu près propre. C’est mieux que rien, ça nous permet déjà de voir un coin de ciel dégagé. Mais avouons que c’est fatigant. Sans compter que si la surface couverte est trop grande, il ne reste plus guère d’espace pour distinguer clairement ce qu’il y a à l’extérieur. L’étape suivante devient souvent inévitable : on se résout à passer à un grand ménage.
  3. Laisser tout tel quel et… : Hélas, cette solution est largement adoptée. On garde les dessins, en pestant contre l’injustice de la vie. On prétend que le paysage est affreux, que le soleil n’existe plus, et on tombe dans la complainte permanente. On appelle ça “être prisonnier de son égo” ou “être enfermé dans ses histoires”. On y perd notre spontanéité, notre élan vital, et on devient la proie d’une spirale négative. Souvent, on se rassure en disant que c’est la faute des autres, des circonstances, de l’économie, du chat qui fait trop de bruit la nuit… tout, sauf nous-mêmes.

L’entrepreneuriat, temple des comparaisons et autres illusions

Maintenant, parlons business. Dans le monde entrepreneurial, le phénomène du dessin sur la vitre est omniprésent. Pourquoi ? Parce qu’il est très facile de se construire un décor fantasmé ou angoissant en se comparant aux autres. On observe la réussite de certains, on scrute leurs comptes Instagram garnis de photos de voyages exotiques, de voitures de luxe et de maisons somptueuses. On se dit alors : “Si je n’atteins pas ce niveau-là, je suis un minable.” Et hop, nouveau gribouillis sur la vitre.

À force de vouloir briller autant, on finit par confondre notre égo avec la réalité. Il suffit parfois d’un simple slogan accrocheur ou d’une conférence “motivation” pour nous inciter à peindre des rêves un peu irréalistes, uniquement pour donner le change aux gens qui nous entourent. Si le marché se retourne ou si la conjoncture fait des siennes, on a tôt fait de se cacher derrière cette excuse : “Ce n’est pas ma faute, c’est juste l’économie qui ne tourne pas rond.” Et on boucle la boucle : au lieu de nettoyer la vitre, on l’encombre d’explications qui justifient tout.

Le piège des possessions matérielles : un gage trompeur de succès

Pour appuyer notre sentiment de réussite, rien de tel que de belles possessions : grosse maison, voiture flashy, voyages aux quatre coins du globe, et restaurants hors de prix. Du moins, c’est ce que la société nous renvoie comme image de la réussite. Pendant un temps, ces “trophées” donnent un bon coup de boost à notre égo. On se sent important, voire invincible.

Non seulement ça, souvent nos possessions nous servent de billet d’entrée dans un cercle de gens qu’on idéalise.  On regarde ce qu’ils possèdent et voulons faire partie de ce groupe.  Nous voulons être en mesure de parler de notre dernière acquisition.  Nous voulons faire partie de la conversation.  Ça nous donne de l’importance à nos yeux.   

Mais vient un moment où la magie s’estompe. On se retrouve avec un vide qui se manifeste, parce qu’en réalité, on ne s’est pas vraiment épanoui par ces acquisitions. Elles étaient parfois un moyen d’échapper à un sentiment de manque, de prouver quelque chose à soi-même ou à la terre entière. On accélère alors la cadence, on cherche à agrandir la maison ou à acquérir une voiture encore plus hors de prix. C’est une course sans fin, où l’on essaie de remplir un puits qui, malheureusement, ne se contente pas de gains matériels.

Tout comme nous percevons que les conversations sont de plus en plus vides autant de leur côté que du nôtre.  

Le “mur” surgit souvent sous la forme d’un burn-out ou d’un découragement intense. On s’aperçoit soudain que, malgré tout ce que l’on possède, quelque chose nous ronge de l’intérieur. On a peut-être couru après des mirages, en décorant notre vitre avec des dessins tape-à-l’œil, mais qui masquaient notre authenticité.

Trois approches chamaniques pour effacer ou transformer nos dessins

Heureusement, tout n’est pas perdu. Il existe des voies pour enlever ces couches de peinture qui nous gâchent la vue. Le chamanisme, par exemple, propose plusieurs pratiques concrètes qui nous aident à voir la vie avec plus de clarté. Nul besoin d’acheter un billet d’avion pour la jungle amazonienne – même si ça peut être un beau voyage –, il s’agit plutôt d’un cheminement intérieur. Voici trois pistes à explorer :

a) Se relier à la nature et à son animal totem

La première idée consiste à renouer avec la nature et, au passage, avec ses propres forces intérieures. Beaucoup de traditions chamaniques encouragent la découverte de son “animal totem” : une entité symbolique qui reflète certaines qualités endormies en nous. On peut s’adonner à une simple méditation pour laisser surgir l’image d’un animal qui nous parle. Le but n’est pas d’y voir un super-pouvoir venu d’une autre galaxie, mais de se reconnecter à une part de soi-même plus authentique et moins parasitée par les conventions sociales.

Lorsque l’on contemple la nature sans chercher à la peindre selon nos désirs ou nos peurs, on apprend à accueillir ce qui est. Les arbres, les rivières, la faune sauvage ne se laissent pas piéger par notre mental. Si l’on s’immerge un tant soit peu dans cette ambiance, on peut amorcer un nettoyage intérieur. Comme si les “dessins” s’effaçaient doucement, juste parce qu’on se rend compte qu’ils n’ont aucune emprise sur le chant d’un oiseau ou la course d’un cerf.

b) Pratiquer des rituels de libération : danse, chant, expression corporelle

Le chamanisme ne se limite pas à l’image romantique du sage en pleine transe au milieu de la forêt tropicale. On peut tout à fait s’inspirer de ces rituels pour redécouvrir la force de la danse ou du chant, par exemple. Quand on danse librement, sans crainte du ridicule, on laisse notre corps s’exprimer. On sort du mental, on lâche prise. Cette libération peut délier des nœuds émotionnels, un peu comme secouer un tapis qui aurait accumulé de la poussière pendant des années.

Le chant, lui, fait vibrer la poitrine et la gorge. On se libère de certains blocages en émettant des sons, en explorant des mélodies spontanées. Les traditions chamaniques prêtent aux chants un pouvoir de guérison qui peut sembler mystérieux, mais on peut en vérifier l’effet par soi-même : chanter sous la douche, dans sa voiture, ou dans un cercle de chant sacré procure souvent une sensation de légèreté. Et plus on se sent léger, plus on a la force de gratter la peinture accumulée sur la vitre.

c) La guidance et l’intégration : écouter ce que les dessins ont à nous dire

Parfois, les images qu’on a tracées sur la vitre ne sont pas là par hasard. Elles peuvent porter un message inconscient, un souvenir, une blessure qu’on n’a jamais osé soigner. Le chamanisme met l’accent sur la “guidance” spirituelle ou thérapeutique : un accompagnement qui nous aide à décrypter nos propres symboles. Cette démarche peut prendre la forme d’une rencontre avec un guide (chaman, psychologue, thérapeute) ou d’une cérémonie plus structurée, avec des rituels spécifiques.

L’important est d’aller voir derrière le dessin. Qu’a-t-il à nous dire ? Pourquoi l’a-t-on peint ? Parfois, la prise de conscience suffit à rendre la peinture inutile, et elle s’efface d’elle-même. D’autres fois, cela demande du temps et de la persévérance. Les cérémonies chamaniques (souvent accompagnées d’éléments comme la musique, la fumée de plantes sacrées, ou encore la symbolique du feu) permettent à certaines émotions ou mémoires refoulées de remonter. C’est un processus parfois déstabilisant, mais souvent libérateur.

Retrouver un juste rapport à l’égo

Toute cette histoire de “nettoyage de vitre” ne doit pas nous faire croire qu’on va se débarrasser de l’égo comme on jette une vieille chaussette. L’égo, c’est notre fenêtre, et on en a besoin. C’est grâce à lui qu’on peut rester à l’abri quand l’orage gronde, qu’on peut structurer notre pensée, affirmer notre identité. Le défi, c’est de ne pas laisser la vitre se couvrir de couches et de couches de peinture, au point de nous couper du réel.

Se réconcilier avec l’égo, c’est l’accepter comme un outil, pas comme un tyran. Quand on cesse de l’idéaliser ou de le diaboliser, on s’aperçoit qu’il peut devenir un allié : il nous signale où sont nos blessures, où se nichent nos croyances erronées. Il nous montre par où nous pouvons commencer à gratter pour laisser entrer plus de lumière.

L’égo dans la vie de tous les jours : ouvrir la fenêtre de temps en temps

Souvent, on a tendance à oublier que, comme une vraie fenêtre, on peut “l’entrouvrir”. Non seulement on voit plus clair, mais on peut faire entrer un peu d’air frais. Cela peut être aussi simple que d’avoir une conversation sincère avec un ami, où l’on ose admettre nos doutes et nos craintes. Parfois, en acceptant de mettre des mots sur ce qui nous dérange, on réalise qu’on avait inventé tout un scénario sur la vitre, scénario qui s’efface en quelques phrases honnêtes.

D’autres fois, prendre un moment de recul dans la nature ou dans une activité qui nous fait vibrer (peinture, musique, cuisine, jardinage…) nous rappelle que la vie existe en dehors de la bulle mentale. Pendant ces instants, on n’essaie plus de maîtriser la réalité. On la vit pleinement, et c’est là qu’on perçoit des étincelles de vérité, des petites joies simples qui nous redonnent foi dans le fait que tout ne tient pas à nos histoires.

Du burn-out à la transformation : éviter l’impact brutal

Le fameux “mur” dont beaucoup parlent, ce n’est généralement rien d’autre que la vie qui nous rappelle à l’ordre. On court, on court, on accumule les succès, les possessions, les projets. Puis, un jour, on se prend un choc en pleine figure : surmenage, épuisement, lassitude de tout. Comme si la vitre s’était complètement obstruée, nous plongeant dans le noir. On ne sait plus distinguer le vrai du faux.

Parfois, ce moment difficile devient l’occasion d’un virage salutaire. On se dit qu’il est temps de retirer quelques couches de peinture. On décide de changer notre mode de vie, de revoir nos priorités, de cesser de courir après l’image de la réussite parfaite. Cette prise de conscience peut survenir à la suite d’un burn-out, d’une maladie, ou d’une rupture. Ce n’est jamais agréable, mais il arrive qu’on sorte de ces épreuves avec la fenêtre bien plus nette qu’avant.

Conclusion : égo, chamanisme et l’art de voir clair

En fin de compte, l’égo n’est pas un ennemi juré, ni un fardeau impossible à porter. C’est un outil qu’on peut apprendre à manier avec discernement. Sans lui, on serait sans cesse submergé par la réalité brute, sans filtre protecteur. Avec lui, on est parfois tenté de peindre toutes sortes d’histoires pour satisfaire nos peurs et nos désirs, au point de ne plus percevoir le monde extérieur tel qu’il est.

Le chamanisme, avec ses invitations à la communion avec la nature, ses rituels d’expression (danse, chant, transe) et son approche d’exploration intérieure (guidance, intégration des symboles), propose une voie pour nettoyer la vitre. On n’y est pas obligé. Certains trouveront une autre méthode (la méditation, la psychologie, l’art-thérapie…) qui leur conviendra mieux. L’important, c’est de comprendre qu’on peut agir sur ces fameux dessins qui nous embrouillent l’esprit. On peut les transformer, les estomper, ou les effacer pour faire de la place à la vraie lumière.

Alors, la prochaine fois que vous vous surprendrez à pester contre le temps gris dehors ou à envier un voisin qui semble plus chanceux, prenez un instant pour vérifier si ce n’est pas votre vitre, justement, qui est couverte de saletés. Peut-être que le soleil brille bel et bien, mais que vous ne l’apercevez plus. Et si vous décidez de vous lancer dans un petit rituel personnel – en chantonnant au détour d’un bois ou en vous offrant une danse improvisée dans votre salon –, vous vous rendrez compte que, peu à peu, la vue s’éclaircit. Qui sait, vous pourriez même redécouvrir que la vie a plus de nuances et de beauté que vous ne l’imaginiez.

En somme, que vous optiez pour un chiffon savonneux, une pratique chamanique ou un nouvel état d’esprit, l’essentiel est de se rappeler que la vitre de l’égo ne doit pas devenir un mur opaque. Les histoires qu’on y dessine ne sont pas la réalité. Elles en sont juste une interprétation – parfois joyeuse, parfois sombre, toujours perfectible. Et si on en prenait soin pour laisser plus de place à la lumière du dehors ? C’est là tout l’art de vivre, entre protection et ouverture, entre soi et le monde, entre ce qu’on croit être et ce qui est vraiment.

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